vendredi, avril 29

Fin de Soirée.



Un grand lit trône sur le côté gauche de la scène. Son sommier est en métal et une demi-douzaine de draps blancs le recouvrent. Au dessous on distingue une forme humaine encore immobile. La lumière est minime, et provient d'une petite lampe posée à l'opposé de la scène. Au bout d'une dizaine de minutes, la forme remue et un pied émerge, s'étire et se pose au sol. C'est A. À droite de la scène entre un homme à reculons, il tient une pile d'assiettes vides et rit bruyamment. C'est G. Dans la scène qui suit les répliques s'enchainent sans silences excessifs.

A : Laisse-moi dormir.

G ne répond pas. Au bout de quelques secondes de silence, la tête de A sort de sous le tas de draps, tournée vers la gauche.

A : Tu es là ?

G : Tu vois bien.

A : Tu ne parlais plus.

G : J'attendais que tu sortes.

A jette un coup d'oeil à la pile d'assiettes.

A : Ce sont les restes d'hier ?

G sans comprendre : Elles sont vides.

A : C'est bien ce que je dis.

B entre à droite, il tire une chaise derrière lui. Il s'arrête, pose la chaise, s'assoit. Un temps.
G le désigne d'un signe de tête.

G : Il a encore vomi.

B : Il est quelle heure ?

A : Quatre heures.

G : Deux heures trente-quatre.

A : Ah.

B approche sa main de la lampe.

B : Je peux ?

Aucune réponse. Il éteint pourtant la lampe, dans le noir on l'entend se lever puis la lumière réapparait plus forte.

B : Voilà.

A : Tu te sens mieux ? Tu es tout blanc.

B : J'en sais rien. Je crois bien que je m'ennuie.

A : T'as qu'à rentrer.

G : À quelle heure tu rentres toi ?

A : Je rentre pas je dors.

G : Désolé.

B brusquement : Qui danse ?

Entre F.

F : Je veux bien.

Il esquissent tous les deux une valse sans qu'aucune musique ne les accompagne. Pendant ce temps, G sort de scène, revient avec un plateau où sont posés quatre verres remplis d'un liquide vert. Il passe devant chacun des personnages, propose une boisson silencieusement. Tous déclinent d'un simple signe de tête. Il finit par s'assoir, le plateau sur ses genoux, et boire le contenu des trois premiers verres, seul. Un temps. La danse s'arrête, B va s'asseoir sur le bord de la scène face public. F s'assoit sur un coin du lit.

B : J'ai vomi. J'ai fini par croire que ça me faisait du bien. Au début ça fait mal. Et puis plus tard on aime. J'ai vomi comme on se vide, comme si je ne savais que me vider. J'ai pas regardé la tâche que je laissais sur le carrelage, j'avais trop peur de recommencer. C'est comme si j'étais pourri de l'intérieur avec mes sept verres de trop. Maintenant que j'ai troqué ma tronche rougeâtre contre cette blancheur de convalescence timide je dois dire que je me sens mieux. Plus apte au calme. Sur le chemin je savais plus si je trainais la chaise ou si la chaise me trainait. Alors j'ai décidé et puis j'ai vomi. Je me suis enfoui l'espace d'une seconde dans la triste solitude de celui qui vide ses entrailles.
(Il marque un temps.) À quinze ans j'avais déjà le visage de l'alcool, c'est dire. La gueule de l'emploi si j'en crois l'expression. J'en ai vingt maintenant. Des années, pas des gueules. J'ai trouvé ma religion dans le cul d'une bouteille. Et je suis pas le seul je crois bien. Ils finissent tous par se pourrir de l'intérieur. Comme...comme moi avec mes sept verres. Et on finit par vomir.

Derrière, G amorce un geste pour prendre le dernier verre plein, il s'arrête.

G : Je bois pour rendre les gens intéressants.

A sort de son lit, titube légèrement puis s'avance jusqu'à G.

A : Alors donne-moi un verre.

G lui tend le verre tout en la regardant fixement.

G : J'ose espérer que tu m'aimes.

A : Je croyais t'avoir prouvé le contraire hier.

G fronce les sourcils, réfléchis en silence. Il finit par se souvenir.

G sans grande émotion, sur le ton d'une discussion banale : C'est vrai oui. Mais enfin. On dit qu'on aime toujours quelqu'un. Je veux dire ça pourrait bien être moi. Ça fait cinq semaines que j'essaie de pleurer, y a pas moyen. Je me dis que ça pourrait bien être un signe. Je me dis que ça pourrait bien être moi.

A boit.

G : Ce n'est pas de l'amour, mes amours ont toujours eu la teinte usée d'une mer de pétrole. Ce n'est que la solitude qui a doucement pris forme dans le regard de l'Inconnu. Juste un vide qui appelle sans cesse. Alors je te regarde et je me dis que si je te collais sur le dos la charge de donner un sens à ma vie tout serait plus simple. Oui c'est exactement ça, j'ose espérer. Même si depuis le temps tu m'as interdit de jouer avec les mots.

A : On ne joue pas avec les mots.

Un temps. F s'agite un peu dans son coin, lisse quelques plis des draps.

F : Je voulais juste dire ...

B : Je plains ceux qui ne boivent pas d'alcool. Ceux-là doivent se lever toujours avec le même type
de matin.

F : Je voulais juste dire à quel point je suis fière de moi. Savoir que j'ai de l'estime pour moi-même m'en donne encore plus. Même si maintenant, maintenant que vous savez, savoir que vous savez que j'ai de l'estime pour moi-même m'en enlève. M'enlève l'estime que j'ai pour moi-même.

A et G ont tourné la tête et observent B maintenant.

A : Il va mieux ?

G : Je pense oui.

B en haussant le ton pour qu'ils l'entendent clairement : Je me sens bien.

Un temps.

A : Comment on en est arrivé là ? Je ne suis même pas sûre qu'on fasse encore la différence entre le jour et la nuit. Il y a combien de jours que l'on est pas sorti ? Hier j'ai bien su qu'il pleuvait. Je l'ai su parce que quand le chat s'est glissé dans la cuisine par l'espace entre les deux volets, son pelage était encore mouillé. C'est plus une fête. Ça tient de l'enfermement, chacun traine sa petite cage individuelle, son lot de préjugés minables arrosés d'un verre de rhum. Qui aime le rhum ?

G : Il n'y en a plus de toute façon.

A inquiète : Mais pourquoi il n'y a plus de rhum ? Il est quelle heure ?

G : Deux heures trente-cinq.

B : Maintenant je me sens plutôt mal.

F : Je me demande pourquoi ?

G : Je crois que j'ai faim.

B : On devrait arrêter de boire.

A : Je crois qu'il y a un problème.

B se lève brusquement et sort vomir en hors-scène.

NOIR.

1 histoires:

E. Berry a dit…

Désolée de la publicité, et je comprends très bien car moi-même j'étais sur Skyrock, j'ai été Blog Star et je recevais beaucoup de pub inutiles !
Bisous quand même ;)
Joli blog !

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